«The Show» : trois bêtes de scène dans une arène très politique.

IMG_4374_web (c) Michiel Devijver

Accrochez-vous aux accoudoirs de votre fauteuil, éteignez toutes vos idées préconçues à propos du Cirque contemporain & bouclez vos ceintures d’un cran : «The Show», la dernière création de la Compagnie Petri Dish, va vous secouer dans tous les sens [du terme], mieux qu’un voyage en montagnes russes!

En anglais, un petri dish désigne ce « petit récipient transparent dans lequel le biologiste fait pousser ses bactéries ». De façon plus large, c’est aussi un « espace qui favorise le développement ou l’innovation ». On peut dire – sans aucun risque de se tromper – qu’avec The Show, la Compagnie emmenée par Anna Nilsson mérite plus que jamais son nom. Le spectacle est un de ces laboratoires où se réinvente complètement le cirque contemporain. Et tant pis – ou tant mieux – si on y perd parfois son latin !

La politique par la peau

Primo, l’innovation vient du sujet-même du spectacle. À l’heure où chacun serait tenté de s’apitoyer sur son propre sort, confinement oblige, Anna Nilsson a délibérément choisi de nous parler de notre (in)capacité à entrer en empathie avec la douleur d’autrui. Touchée en son cœur [et en ses peurs] dès l’enfance par la notion d’emprisonnement, la metteuse en scène, aujourd’hui jeune quarantenaire, a choisi un thème qui lui parle dans sa chair. Et c’est bien là qu’elle a décidé de nous le faire ressentir aussi, plutôt que dans le cerveau. Gare à vos sens [qu’ils soient giratoires, interdits ou même les sixièmes, sortez-les tous !].

Secundo, en scène, l’innovation passe aussi par l’incarnation de ce thème inédit au cirque. Trois interprètes merveilleusement allumés vont nous partager leur réflexion sur la torture de l’homme par l’homme, avec pour exemple le plus récurent la dictature en Corée du Nord, et se feront tour à tour [attention, la liste vaut le détour] sociologues de plateau télévisé, danseurs coréens, candidats à un quizz dont le trophée est un séjour dans un camp de de travail, présentateurs de JT contorsionnistes, défenseurs des droits humains eux-mêmes détournés en animaux de foire, miss météo de la surveillance politique [direction nord], êtres nus livrés au risque ou encore chanteurs d’opéra très tragique.

Le tout en nous regardant droit dans les yeux, sans jamais nous lâcher d’une semelle. Car oui, The Show mérite tout simplement son nom : ces trois-là, peu importe qu’ils soient habillés en costard, en costume traditionnel coréen, en fourrure ou dans le plus simple appareil, sont les présentateurs d’un talk-show d’un autre type et ne compteront ni leur sueur ni leurs variations de tons pour secouer nos consciences en direct, micro au poing.

 

 

De l’art vivant – et comment !

Innovation ? Elle est présente partout dans les corps qui se contorsionnent, dans les langues qui s’additionnent [anglais, français, italien, néerlandais, allemand], dans les genres qui fusionnent, dans les éclairages qui se fractionnent – entre les vidéos veloutées ou efficacement documentaires de Jo Ackermans et les lumières scotchantes, flash ou faussement pastel, conçues par Thibault Condy. On n’est jamais loin des Arts plastiques. Mais cela reste de l’art vivant – et comment ! Dans le noir de la salle, on ne peut que souffler d’admiration – pure et simple – pour les trois bêtes de scène qui peuplent ce bestiaire hors normes, qui mêle les âges et les talents.

Il y a Jef Stevens bien sûr, fidèle d’Anna Nilsson, « jeune homme » de 73 ans, capable de porter l’une de ses consœurs en colonne et de danser en talons hauts. Il y a Aliénor H., cette comédienne venue au cirque avec une incroyable acuité physique, prompte à la danse contemporaine comme à la contorsion. Et il y a Leila Koeckenberger, acrobate qui innove – hé oui – en troquant son tissu aérien contre une bâche de plastique transparente. Un agrès qui dévoilera par moment le corps dans toute sa nudité – métaphore sans appel de la cruauté dont est capable l’humain sur ses semblables, viandes sous vide, bradées à bas prix.

 


Un laboratoire public compris

Invention dans le fond comme dans la forme donc, à chaque seconde de ce spectacle, mais la plus grande audace de The Show reste peut-être celle-ci : emmener le spectateur avec lui dans son récipient d’innovation ! N’espérez pas rester bien sagement calés dans votre fauteuil, pour une bonne soirée « pépère ». Ce sont nos propres résistances que ce spectacle propose de tester. Oui, nous sommes comme dans un laboratoire qui viserait à faire jaillir les questions en notre esprit : ai-je bien écouté la description des faits odieux qui vient de m’être faite ? N’étais-je pas distrait par la vidéo ? Est-ce qu’en regardant Jef, je ne me suis pas demandé si moi-même je pouvais encore sauter ou tomber d’une table sans me casser un os ? La nudité m’intrigue-t-elle ? Pourquoi ? En venant au spectacle, qu’est-ce que j’espère ? Être conforté dans mes certitudes ? Les voir voler en éclat ? Tout comprendre ? Ou gagner une foule de questions qui me gardent en éveil ?

Face à The Show, chacun se posera les siennes – je vous le garantis. Et les réponses, heureusement, appartiendront à chacun – aimer ou pas, préférer tel passage de ce spectacle gigogne, etc. Il n’empêche qu’à chacune de ses créations, Anna Nilsson repousse toujours un peu plus loin l’imaginaire du cirque contemporain et confirme ici la puissance de feu de sa palette expressive.

On se souviendra des machines étranges et autres jeux de dominos qui peuplaient Expiry Date [2015], des végétaux qui envahissaient le salon de Driften [2016] ou encore de la caravelle exposée à la tempête dans Walhalla [2018], autant de spectacles rêvés avec Sara Lemaire. À bien y réfléchir, chacune de ces précédentes créations n’était-elle pas déjà éminemment politique, évoquant la lutte pour l’espace social [Driften] ou, clairement, pour le pouvoir [Walhalla] ?

Quand on sait qu’en matière de cruauté, la réalité des hommes dépasse souvent la fiction, The Show débarque comme un ovni salutaire. Politique dans sa chair, il démontre que pour acquérir le genre humain, notre humanité a encore bien du chemin à faire. Et c’est par l’art, furieux, audacieux, un peu échevelé, que Petri Dish vient nous y inviter. Magnifique générosité. « C’est par la peau qu’on fera rentrer la métaphysique dans les esprits », prophétisait déjà Antonin Artaud. Ce passionné d’un art total aurait certainement pris beaucoup de plaisir en si bonne compagnie.

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Un article rédigé par Laurent Ancion, journaliste culturel
[spectacle vu en novembre 2020]

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The Show aurait dû être créé cette Saison au Théâtre de la Vie, du 12 au 21.11.2020, en coréalisation avec l’Espace Catastrophe | Saison UP!

Nous espérons pouvoir vous annoncer les prochaines représentations :
Au Théâtre de Poche, du 31.03 au 3.04.2021
Au Théâtre de la Vie, en juin 2021 [jours & horaires à confirmer en fonction de l’évolution de la crise sanitaire]

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En savoir plus sur The Show :

Contact artistique : Anna Nilsson |annanilsson_mail@hotmail.com
Contact diffusion : Bianca Riccardi | diffusion@catastrophe.be

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